Le Monstre
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Xavier Veilhan

Le Monstre

09.04.10 → 21.05.10

Qu’il emploie la photographie numérique, la sculpture, la statuaire publique, la vidéo, l’installation ou même l’art de l’exposition, Xavier Veilhan architecture ses oeuvres autour d’une colonne vertébrale : les possibilités de la représentation. L’un des marqueurs les plus visibles dans sa pratique polymorphe est le recours à un traitement par la version générique de formes et d’objets, lissée, sans détail ni psychologie. Depuis les années 1990, le bestiaire animalier occupe une place de choix dans ce processus ; entre autres, pingouins et rhinocéros sont réalisés en résine teintée dans la masse, de coloris non naturalistes. Le Rhinocéros (1999), réalisé à échelle réelle, fut laqué en rouge Ferrari, modifiant instantanément la perception du mastodonte « carrossé ». Déjà en 1995, avec Les Gardes Républicains, il avait réalisé un ensemble de quatre gardes à cheval totalement génériques. Les statues se tenaient comme des figurines de jouets à taille réelle. Les figures de Veilhan sont des archétypes réduit à l’essentiel, préparés pour que le spectateur puisse s’y projeter immédiatement et dépasser le stade de l’anecdote. Sans rechercher un mimétisme virtuose, elles parvenaient immédiatement à établir un intimidant rapport d’autorité sur le spectateur.

 

Fasciné par les questions de modernité et de progrès technique, Veilhan s’intéresse parallèlement aux systèmes mécaniques, à la construction de machines. Avec la Ford T (1997-1999), il contraria même le fordisme en faisant réaliser à la main cette voiture des années 1910, symbole des premières productions à la chaîne. Du stéréotype au prototype, l’artiste a brouillé les cartes et les repères en s’attaquant aux standards. Ont suivis les bicyclettes, un scooter-tour de potier, et récemment un coucou suisse. Cet énorme ouvrage d’art machinique de cinq mètres de long, doté de rouages colorés et laqués, mesure un temps énigmatique lorsqu’il actionne une boule métallique dans son système. Ainsi, comme le bestiaire, la modernité mécanique traverse la carrière de Xavier Veilhan, commencée à la fin des années 1980, et se poursuit dans les expositions les plus récentes.

 

Avec La Forêt ou La Grotte (réalisées en 1998), Xavier Veilhan propose des expériences de visite dans d’énormes environnements. Il en révèle toujours la structure porteuse afin de ne ménager aucune illusion : dans l’art de Veilhan, il s’agit avant tout de construction. La forêt est suggérée par des rouleaux de feutre gris, en guise de troncs ; la même matière recouvre le sol. Plongée dans une ambiance sourde, confinée et isolée sur le plan phonique par le matériau utilisé, l’expérience sensible de cet environnement synthétique dissèque les automatismes d’identification à travers le recours à de puissants symboles culturels. Ces « ressorts », Veilhan les utilise tour à tour dans des oeuvres globales et des objets isolés. « Instrumentaliser les signes », il aime avouer sa passion convertie en statues et en expositions. En effet, depuis les grandes installations de la fin des années 1990, Xavier Veilhan s’est frotté à l’exercice de la scénographie de ses propres oeuvres (Le Plein emploi, Strasbourg, 2005), mais également d’oeuvres d’autres artistes (Projet Hyperréaliste réalisé à la Biennale de Lyon en 2003, ou le sculptural Baron de Triqueti en 2006). Les dispositifs d’exposition, depuis le jardin de Versailles, en passant par les techniques de propagandes constructivistes, jusqu’aux grandes expositions universelles, constituent des enjeux analytiques féconds pour l’artiste, intéressé par l’orchestration du pouvoir et sa matérialisation iconographique. Selon cette logique, Xavier Veilhan a répondu à des commandes publiques en France, réalisant un monstre gris à Tours (2004), un lion bleu à Bordeaux (2005), un ours, des pingouins et des personnages à Lyon (2006). L’amorce archétypale donne lieu ici à une réflexion sur la dimension commémorative de la statuaire publique, son action «signe» dans le quotidien urbain.

 

— Bénédicte Ramade